Son œuvre: Reconnaissance
Au cours des funérailles de l’abbé Lecoutre le 5 novembre 1906, le doyen de Desvres lui rendit hommage, rappelant
le travail colossal, commencé et achevé par lui seul, de l’agrandissement et de l’ornementation de l’église, véritable poème de pierre, qui attestera longtemps et son zèle intelligent et son sens artistique peu commun, et sa ténacité admirable (Funérailles 1906).
Mais l’œuvre de l’abbé Lecoutre a été longtemps ignorée des français. Ainsi l’historien montreuillois Roger Rodière (1870-1944) qualifie d’étrange la restauration de l’église, reprochant implicitement à l’abbé Lecoutre d’avoir fait disparaître les épigraphes.
…restaurée ou plutôt refaite à neuf en ces dernières années, de façon étrange, elle a perdu dans ces travaux presque tous ses monuments épigraphiques (Rodière 1910 page 550).
Ce sont des anglais, W. D. Craufurd, E. Manton et E. A. Manton, qui en 1914 dans leur guide de voyage Peeps into Picardy (Détours en Picardie) en donnent une description élogieuse (Craufurd et al. 1914 pages 74-76).
Peeps into Picardy 1914 pages 74-76
In the little village of Wirwignes — some three miles off, hidden away from the world — there is to be seen a remarkable monument to human perseverance and determination. Probably few will have heard of, or indeed will ever hear of, this little village church ; still, those who do visit it must bow their heads in reverence before the work, done by a simple curé, to the glory of his Maker. He worked unceasingly, and, unlike the Lady of Shalott, who left her task to gaze at the passers-by, stuck to his work until he was able to see his long-wished-for ideal completed, his life-work accomplished ere- he died. The curé decorated this church almost entirely by his own handiwork. The only assistance he received was by the gift of marble for his mosaics and colours for his paintings. All the side chapels, of which there are a great many, are done in mosaic, with slabs of marble in various designs to form a dado on either side of the altars. No two chapels are alike. The Stations of the Cross, sculptured in stone and tinted, are let into the wall round the church. The pillars are each painted with different designs, some quite excellent. The two large pillars supporting the chancel arch are coated with marble mosaics, as in the inner walls of the church, including the space under the centre tower and the baptistery. The floor is marble. The altars are all of carved stone, with the exception of the high altar, which, with its altar rails, is Renaissance, and of carved wood. Many of the super-altars in the chapels are most curious in design, especially the representations in the chapel of St. Joseph, of the Virgin and Child and St. Joseph in ordinary beds, with bedclothes. These are done in relief, with gold background. Small coloured statuettes of the saints are all round the centre chancel arch, in niches, and again on pedestals above the capitals of the pillars throughout the church. The pulpit deserves special attention. The pedestal represents the “Fall” — the figures of Adam and Eve being about half life size, whilst the Tree forms the support in white marble. Behind, on the pillar, is a figure of Christ, also in relief.
The church stands as a glorious monument to human perseverance and devotion to a higher cause. It was in this same spirit our great cathedrals were raised. The cure’s grave, just outside the church on the north side, bears this inscription: “A la mémoire de M. l’Abbé Paul Lecoutre, curé de Wirwignes pendant 43 ans, 1863-1906, pieusement décédé dans sa paroisse le 12 Novembre 1906, dans sa 77e année;” but the church is his real monument, for it will long preserve his memory.
Dans le petit village de Wirwignes – à environ trois miles de là, à l’écart du monde – se trouve un remarquable monument à la persévérance et à la détermination de l’homme. Il est probable que peu de gens aient entendu parler de cette petite église de village, ou même qu’ils en entendent parler un jour; cependant, ceux qui la visitent doivent s’incliner avec respect devant l’œuvre accomplie par un simple curé, à la gloire de son Créateur. Il travailla sans relâche et, contrairement à la Dame de Shalott qui abandonnait sa tâche pour regarder les passants, il s’attacha à son travail jusqu’à ce qu’il puisse voir son idéal tant désiré achevé, l’œuvre de sa vie accomplie avant de mourir. Le curé a décoré cette église presque entièrement de ses propres mains. La seule aide qu’il reçut fut le don de marbre pour ses mosaïques et de couleurs pour ses peintures. Toutes les chapelles latérales, qui sont très nombreuses, sont en mosaïque, avec des plaques de marbre aux motifs variés pour former un dôme de part et d’autre des autels. Il n’y a pas deux chapelles identiques. Le chemin de croix, sculpté dans la pierre et teinté, est encastré dans le mur qui entoure l’église. Les piliers sont peints de motifs différents, dont certains sont tout à fait remarquables. Les deux grands piliers qui soutiennent l’arc du chœur sont recouverts de mosaïques de marbre, tout comme les murs intérieurs de l’église, y compris l’espace sous la tour centrale et le baptistère. Le sol est en marbre. Les autels sont tous en pierre sculptée, à l’exception du maître-autel qui, avec sa balustrade d’autel, est de style Renaissance, en bois sculpté. Plusieurs autels des chapelles sont d’une conception très curieuse, en particulier les représentations dans la chapelle de St Joseph de la Vierge et l’Enfant et St Joseph dans des lits ordinaires, avec des draps de lit. Elles sont réalisées en relief, sur fond d’or. De petites statuettes colorées des saints se trouvent tout autour de l’arc central du chœur, dans des niches, et quelquefois sur des piédestaux au-dessus des chapiteaux des piliers dans toute l’église. La chaire mérite une attention particulière. Le piédestal représente la “Chute” – les personnages d’Adam et d’Ève sont à peu près à la moitié de la taille réelle, tandis que l’arbre forme le support en marbre blanc. Derrière, sur le pilier, se trouve une figure du Christ, également en relief.
L’église se présente comme un monument glorieux de la persévérance humaine et du dévouement à une cause supérieure. C’est dans ce même esprit que nos grandes cathédrales ont été construites. La tombe du curé, juste à l’extérieur de l’église, du côté nord, porte cette inscription: “A la mémoire de M. l’Abbé Paul Lecoutre, curé de Wirwignes pendant 43 ans, 1863-1906, pieusement décédé dans sa paroisse le 12 Novembre 1906, dans sa 77e année”; mais l’église est son véritable monument, car elle conservera longtemps sa mémoire.
Pour avoir une telle reconnaissance en France, il faut attendre 1933 avec un article d’Arnaud De Corbie dans Le Télégramme du Pas-de-Calais intitulé “Comment un curé de village – digne successeur des prêtres bâtisseurs du Moyen-Age – passa 43 ans de sa vie à agrandir, embellir et décorer son église – l’église de Wirwignes, qui est aujourd’hui l’une des plus curieuses et des plus émouvantes du pays boulonnais” (De Corbie 1933).
Arnaud de Corbie – Le Télégramme du Pas-de-Calais 27 mai 1933
Cent ans après sa mort
l’œuvre de l’abbé Lecoutre est officiellement reconnue
Le 6 janvier 1982 marque une étape, un grand nombre de réalisations de l’abbé Lecoutre sont inscrites comme objets au titre des Monuments Historiques. Le collectif objet du ministère de la culture recense 20 objets protégés, dont les plus importants sont son œuvre*. En fait le nombre d’objets est considérablement plus élevé certains éléments classés regroupant plusieurs objets (par exemple 43 statues).
POP: la plateforme ouverte du patrimoine
Les 20 objets protégés de Wirwignes
*Une exception notable est le tabernacle chêne daté du quatrième quart du 17ème siècle qui sera même classé Monument Historique par arrêté du 20 septembre 1982.
Voir tous les objets inscrits de l’église Saint-Quentin
Peu de temps avant Dominique Arnaud avait publié dans La Voix du Nord du 21 août 1981 un article élogieux intitulé “L’EGLISE DE WIRWIGNES: vieux message d’un curé de campagne, mais aussi chef-d’œuvre d’art populaire.” En 1988 le même auteur consacre une rubrique de son Guide du Boulonnais et de la Côte d’Opale à l’église de Wirwignes qu’il présente comme “un lieu extraordinaire” œuvre d’« un grand artiste” (Arnaud 1988 page 81).
Dominique Arnaud – La Voix du Nord du 21 août 1981
Une étude réalisée sous la responsabilité scientifique de Véronique Moulinié en 2010 met en avant le temps qu’il a fallu pour que l’œuvre de l’abbé Lecoutre fût enfin officiellement reconnue (Moulinié 2010 page 17).
Pendant des décennies, ces installations n’éveillèrent guère l’intérêt des instances culturelles. Le silence obstiné qu’elles maintiennent quant à cette décoration étonnante laisse assez clairement deviner le mépris dans lequel elles les tiennent alors. En 1982, on inscrivit ainsi une longue liste d’objets de l’église sur la liste supplémentaire des objets mobiliers. Sans un regard pour les statues de Lecoutre. De même en 1993, une lettre de J.-P. Blin, de la direction du Patrimoine, demandant que soit constitué un dossier à son sujet, ne semble pas avoir reçu le moindre écho. Sans doute était-il trop tôt. Le contexte n’était pas favorable.
Ce n’est qu’au début des années 2000 que les choses changent. En 2002, une lettre de Patrick Wintrebert, conservateur départemental des objets d’art, adressée à Jacques Philippon, conservateur régional des Monuments Historiques, appelle son attention en faisant explicitement référence au facteur Cheval:
J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur l’église paroissiale de Wirwignes qui à mon avis mériterait une protection parmi les monuments historiques. L’édifice vaut surtout pour son décor unique en son genre dans le département. Il est l’œuvre du curé Paul-Amédée Lecoutre qui, à l’instar du facteur Cheval, employa quarante années de sa vie à couvrir les murs de mosaïques, à sculpter près d’une centaine de statues et à réaliser le mobilier (Archives du Musée d’Art Moderne Villeneuve d’Ascq).
Le résultat ne se fait pas attendre et l’église est inscrite au titre des Monuments Historiques par arrêté du 2 mai 2006, cent ans après la mort de l’abbé Lecoutre. Cependant, son classement* sera refusé. Parmi ceux qui ont activement participé au dossier d’inscription de l’église de Wirwignes, il convient de mentionner Michel Cabal, médecin psychiatre et passionné d’art brut.
*Sont classés parmi les monuments historiques, “les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public.” C’est le plus haut niveau de protection. Sont inscrits parmi les monuments historiques “les immeubles qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation.” Autre distinction: Le classement s’effectue au niveau national et l’inscription seulement au niveau régional.
C’est donc par arrêté en date du 2 mai 2006 (référence 2006 D 6324)
que l’église est inscrite à l’inventaire des monuments historiques.
Cent ans après la mort de Paul Lecoutre.
L’arrêté met en avant le caractère novateur de l’œuvre de l’abbé Lecoutre.
Considérant que l’église Saint-Quentin de Wirwignes présente un intérêt du point de vue de l’histoire et de l’histoire de l’art, suffisant pour en rendre désirable la protection comme une œuvre d’art totale, création originale de l’abbé Lecoutre, et un édifice pionnier dans l’émergence de l’Art naïf en France dans le dernier tiers du XIXe siècle.
Voir l’arrêté d’inscription du 2 mai 1906
Bibliographie sur l’œuvre de l’abbé Lecoutre
Les références mentionnées précédemment — essentiellement quelques articles de journaux et des mentions dans des guides touristiques — sont intéressantes car elles montrent comment l’œuvre de l’abbé Lecoutre a été perçue. Il convient de mentionner également le travail pionnier et précieux du wirwignois Jean-Marc Pierru, qui a fait un inventaire des réalisations de l’abbé Lecoutre et a effectué un relevé minutieux de ses inscriptions. Cela a permis de réaliser des panneaux de présentation dans l’église de Wirwignes, puis d’un texte de synthèse (Pierru 2023). Celui-ci contient également un résumé synthétique des archives paroissiales, avec un historique de l’église de Wirwignes et le récit du pèlerinage de l’abbé Lecoutre dans les lieux saints (Lecoutre 1867). On notera qu’il a poursuivi le travail de son père Elysée Eugène Léon Pierru (1914–1996) qui avait précédemment rédigé des cahiers.