Les textes canoniques

A l’époque de l’abbé Lecoutre ce sont les « textes canoniques » de la Vulgate sixto-clémentine qui étaient la source officielle du catéchisme*. Ils ont constitué pour lui une importante source d’inspiration. C’est à une version en latin sans ponctuation, qui est plus proche des textes originaux, que nous ferons référence ici (par exemple Biblefr 2001). Nous en donnons notre propre traduction, la plus littérale possible.

*Elle a depuis été remplacée par la Nova Vulgata (1998).

La porte latérale: L’Annonciation et la statue de saint Paul

Il s’agit en fait d’un ensemble de trois portes, réalisé par l’Abbé Lecoutre, qui avec la porte extérieure forme un sas. Leurs faces à l’intérieur de l’église sont sculptées.

La porte latérale droite représente saint Paul tenant un livre symbolisant ses écrits et une épée évoquant son martyr. La porte gauche représente saint Pierre tenant un livre symbolisant ses écrits et les clefs du salut des âmes et du paradis. La porte centrale représente une scène de l’Annonciation.

L’Annonciation

Richement sculptée, la porte centrale à deux battants reproduit une partie de la scène de l’une des Annonciations réalisées par le peintre italien Fra Angelico, décédé en 1455.

Il s’agit de l’Annonciation de Cortone, peinte vers 1433-1434, conservée au Musée diocésain de Cortone, à une centaine de kilomètres de Florence*.
Nous n’en retenons que la partie correspondant à la sculpture de l’abbé Lecoutre.

Annonciation Fra Angelico
Annonciation de Cortone Fra Angelico

Il lui a fallu une copie, sans doute une gravure de cette Annonciation, pour la reproduire, mais l’œuvre de l’abbé Lecoutre n’est pas une simple copie, c’est une transposition dans une autre forme d’art. Le style en est si bien rendu que Arnaud de Corbie, sans connaître la peinture originale a pu constater: « l’artiste s’est visiblement inspiré de quelque tableau de l’école italienne » (de Corbie 1933).

Le choix de cette Annonciation pour transmettre son message ne doit certainement rien au hasard. C’est une œuvre majeure du quatroccento (les années 1400), qui est le siècle de la première Renaissance en Italie. Elle fait de nos jours l’objet de très nombreux commentaires. En particulier l’historien de l’art Daniel Arasse, spécialiste de la Renaissance italienne, en a fait une étude particulièrement remarquable (Arasse 1999). Nous reviendrons sur cette Annonciation.

Fra Angelico a peint en lettres d’or un dialogue extrait du chapitre 1 de l’Évangile de Luc qui décrit l’annonce faite à Marie par l’ange Gabriel. Celui-ci dit à Marie (extrait du verset 35):

SPIRITUS SANCTUS SUPERVENIET IN TE
ET VIRTUS ALTISSIMI OBUMBRABIT TIBI

La réponse de Marie qui se soumet à la volonté de Dieu est un extrait du verset 38:

ECCE ANCILLA DOMINI [FIAT] MIHI SECUNDUM VERBUM TUUM

Annonciation de Cortone Fra Angelico

A l’appui de sa réponse les mains croisées de Marie, qui regarde l’ange avec douceur et retenue, expriment sa modestie et sa soumission à la volonté du Seigneur: « voici la servante du Seigneur qu’il me soit fait selon ta parole » (verset 38). De même l’index de l’ange pointé vers le haut paraît évoquer la venue de l’Esprit Saint, et suggère peut-être aussi « tu as trouvé grâce devant Dieu » (verset 30), tandis que celui pointé vers Marie renforce le message « viendra sur toi et te prendra sous son ombre. » Les attitudes traduisent un respect mutuel.

Sur la jambe de Marie est posée une Bible qu’elle était en train de lire, ce qui montre une femme érudite, conformément au mot cogitabat (verset 29) qui exprime une méditation, une pensée profonde (ce qu’exprimait à l’origine le verbe cogiter avant qu’il ne prît une connotation péjorative), et elle troublée (verset 29).

quae cum vidisset turbata est in sermone eius et cogitabat qualis esset ista salutatio [29]
et ait angelus ei ne timeas Maria invenisti enim gratiam apud Deum [30]
et respondens angelus dixit ei Spiritus Sanctus superveniet in te et virtus Altissimi obumbrabit tibi ideoque et quod nascetur sanctum vocabitur Filius Dei [35]
dixit autem Maria ecce ancilla Domini fiat mihi secundum verbum tuum et discessit ab illa angelus [38]

celle-ci l’entendant fut troublée de ses paroles et elle pensait quelle pouvait être cette salutation [29]
et l’ange lui dit ne crains pas Marie tu as trouvé en effet grâce devant Dieu [30]
et répondant l’ange lui dit l’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre et c’est pourquoi celui qui naîtra saint sera sera appelé Fils de Dieu [35]
Marie dit alors voici la servante du Seigneur qu’il me soit fait selon ta parole et alors l’ange la quitta [38]

L’Évangile de Luc chapitre 1 versets 26 à 38

26 in mense autem sexto missus est angelus Gabrihel a Deo in civitatem Galilaeae cui nomen Nazareth
27 ad virginem desponsatam viro cui nomen erat Ioseph de domo David et nomen virginis Maria
28 et ingressus angelus ad eam dixit have gratia plena Dominus tecum benedicta tu in mulieribus
29 quae cum vidisset turbata est in sermone eius et cogitabat qualis esset ista salutatio
30 et ait angelus ei ne timeas Maria invenisti enim gratiam apud Deum
31 ecce concipies in utero et paries filium et vocabis nomen eius Iesum
32 hic erit magnus et Filius Altissimi vocabitur et dabit illi Dominus Deus sedem David patris eius
33 et regnabit in domo Iacob in aeternum et regni eius non erit finis
34 dixit autem Maria ad angelum quomodo fiet istud quoniam virum non cognosco
35 et respondens angelus dixit ei Spiritus Sanctus superveniet in te et virtus Altissimi obumbrabit tibi ideoque et quod nascetur sanctum vocabitur Filius Dei
36 et ecce Elisabeth cognata tua et ipsa concepit filium in senecta sua et hic mensis est sextus illi quae vocatur sterilis
37 quia non erit inpossibile apud Deum omne verbum
38 dixit autem Maria ecce ancilla Domini fiat mihi secundum verbum tuum et discessit ab illa angelus

Comparaison avec trois autres Annonciations

Il est intéressant de considérer trois autres Annonciations peintes au même siècle, qui renvoient à un message différent. Comme précédemment nous n’en retenons que la partie correspondant à la sculpture de l’abbé Lecoutre.

  • Un autre peintre italien, Melozzo da Forli (1438-1494), a réalisé une version également très proche, qui est conservée au Panthéon à Rome. Une copie réalisée par le français Jean Lefeuvre (1882-1975) se trouve à l’école nationale supérieure des beaux-arts à Paris.
  • Léonard de Vinci (1452-1519) a également peint une Annonciation proche des précédentes, l’une de ses premières œuvres réalisée entre 1472 et 1475, qui est exposée à la galerie des Offices de Florence en Italie.
  • Fra Angelico a peint ultérieurement une autre Annonciation, qui est un fresque située en haut de l’escalier menant aux cellules des moines du couvent San Marco de Florence.
Annonciation de Melozzo da Forli
Annonciation de Melozzo da Forli

Melozzo da Forli

Annonciation de Leonard de Vinci
Annonciation de Leonard de Vinci

Léonard de Vinci

Annonciation de San Marco
Annonciation de San Marco

Fra Angelico

Les différences essentielles du tableau de Melozzo da Forli est que Marie est debout et que la Bible n’est pas représentée; plutôt que sur son érudition, l’accent est mis sur la pureté de Marie symbolisée par la fleur de lys tenue par l’ange.

Dans l’Annonciation de Léonard de Vinci Marie était également en train de lire la Bible avant l’arrivée de l’ange, mais elle est plutôt distante, avec sa main posée sur le livre qui est placé sur un pupitre devant elle, l’importance de cette lecture est montrée par la longueur volontairement exagérée de son bras. Avec la table richement sculptée, cette attitude accentue l’impression d’une femme érudite venant d’une famille riche. Marie a une silhouette sculpturale et mature, contrastant avec son visage juvénile, sa main gauche paraissant exprimer son accord avec la volonté du Seigneur plutôt que sa soumission. Le tableau de Léonard montre Marie comme n’étant pas une simple « mère porteuse, » ce qui est signifié par la lumière qui l’éclaire et par le choix des couleurs qui paraissent diminuer le rôle de l’Ange Gabriel. Celui-ci apparaît est humble, voire obséquieux au vu de la position de ses mains, au service de Marie dont la pureté est soulignée par le bouquet de lys.

Une des différences de la deuxième version de Fra Angelico est que l’ange a les mains croisées comme Marie*. On voit que le décor est beaucoup plus simple que dans les autres Annonciations. Nous reviendrons sur les deux Annonciations de Fra Angelico dans l’épilogue de la Section « Populaire? ».

*Ce qui est également le cas dans une troisième Annonciation de Fra Angelico, peinte antérieurement (sans doute avant 1430), qui se trouve de nos jours au musée du Prado à Madrid.

Saint Pierre et Saint Paul

Sur la porte latérale gauche côté intérieur est sculpté saint Pierre avec un livre et les clefs du salut des âmes et du Paradis. L’abbé Lecoutre paraît s’être inspiré de la statue de Saint Pierre qui se trouve sur le pont Saint-Ange à Rome.

Sur la porte latérale droite côté intérieur est sculpté saint Paul avec un livre et un glaive. Le message est le même que celui de la statue du 18ème siècle de saint Paul qui se trouve dans l’ancienne cathédrale de Saint Papoul (Aude), les deux représentations étant proches.

Saint Pierre – Abbé Lecoutre
Saint Pierre - Rome
Saint Pierre – Rome
Saint Paul – Abbé Lecoutre
Saint Papoul

Le livre et le glaive de Paul se réfèrent à sa mission d’évangélisateur, ses écrits et son combat. Ainsi dans sa deuxième Epitre à Timothée au chapitre 4 verset 7 il lui dit:

bonum certamen certavi cursum consummavi fidem servavi
j’ai mené un bon combat j’ai achevé ma course j’ai gardé la foi

De même, dans sa Lettre aux Éphésiens chapitre 6 verset 17 il leur dit:

et galeam salutis adsumite et gladium spiritus quod est verbum Dei
et prenez le casque du salut et le glaive de l’esprit qui est la parole de Dieu

Paul fait ainsi référence aux paroles de Jésus rapportées dans l’Évangile de Matthieu chapitre 10 verset 34:

nolite arbitrari quia venerim mittere pacem in terram non veni pacem mittere sed gladium
ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive

On peut voir ces paroles en accord avec le fait que Jésus est un contestataire, qui s’oppose radicalement à un système établi, ce qu’il montre en chassant les marchands du Temple.

L’abbé Lecoutre a choisi de représenter le glaive enfoncé dans le sol symbolisant la paix retrouvée en accord avec la parole de Paul
« j’ai achevé ma course. »

Le vitrail du Nouveau Testament

Les vingt-quatre scènes des deux vitraux du Nouveau Testament, reproduisent des gravures du 19ème siècle, comme l’illustrent par exemple celles de la « Résurrection de Notre Seigneur », de « Jésus crucifié » et de la « Multiplication des pains. » Si on trouve encore de nos jours des reproductions de ces gravures, il ne paraît cependant pas facile d’en retrouver l’origine.

Résurrection de Notre Seigneur
Résurrection de Notre Seigneur
Jésus crucifié
Jésus crucifié
Multiplication des pains
Multiplication des pains
Résurrection de Notre Seigneur
Résurrection de Notre Seigneur
Jésus crucifié
Jésus crucifié
Multiplication des pains
Multiplication des pains

La reproduction est d’une qualité remarquable, avec tous les détails des personnages et de leurs habits et du décor. Il est donc vraisemblable que l’abbé Lecoutre a mis en scène ces gravures dans le vitrail, en laissant le soin au peintre-verrier de reproduire les gravures à partir des originaux. On notera que, pour mieux en montrer l’essentiel, les gravures ont été plus ou moins rognées. Notamment dans la scène « Jésus crucifié » les deux autres crucifiés qui sont représentés de part et d’autre de Jésus dans la gravure originale ont été supprimés (voir ci-dessous le vitrail de la crucifixion).

On notera que les scènes ne sont pas présentées dans leur ordre chronologique, et qu’il paraît impossible de leur trouver un ordre logique. Cela résulte à l’évidence d’un choix délibéré de l’abbé Lecoutre, destiné à susciter des questions.

Le vitrail de la crucifixion

Sur le vitrail représentant la crucifixion de Jésus, que l’on pourrait intituler « Jésus sur sa croix et le bon et le mauvais larron » (voir plus loin), la scène par son grand format et le soin apporté à la réalisation de tous les détails est réellement spectaculaire, avec un rendu saisissant des attitudes des personnages. Nous nous limiterons ici à la figuration des trois crucifiés. Le bas de la scène, non reproduit ici, qui représente plusieurs personnages, mérite aussi une analyse, mais celle-ci dépasse le cadre de notre propos.

Le bon larron
Le bon larron
Jésus sur sa croix
Jésus sur sa croix
Le mauvais larron
Le mauvais larron

Dans la scène de la crucifixion du vitrail du Nouveau Testament (voir ci-dessus), l’abbé Lecoutre a supprimé les deux autres crucifiés. Dans la gravure originale ceux-ci étaient représentés morts, la tête pendante, ce qui d’un point de vue religieux n’apportait aucune signification et ne l’intéressait donc pas.

Les quatre évangiles canoniques relatent que deux malfaiteurs sont crucifiés avec Jésus. L’Évangile de Marc et l’Évangile de Matthieu disent que tous deux insultent Jésus, mais dans le premier l’un des deux le respecte. On voit clairement sur le vitrail que les deux hommes ont des attitudes opposées, ce qui correspond à la description donnée au chapitre 23 de l’Évangile de Luc, et est renforcé par la présence au-dessus d’eux de l’Ange et du Diable. Sur les banderoles sont inscrites des extraits de ce chapitre.

Le bon larron à gauche dit à Jésus:

Domine memento

Extrait du verset 42 – et dicebat ad Jesum Domine, memento mei cum veneris in regnum tuum – et il disait à Jésus Seigneur souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume

et Jésus lui répond:

Amen dico tibi hodie mecum eris [in] paradiso

Extrait du verset 43 – et dixit illi Jesus amen dico tibi: hodie mecum eris [in] paradiso – et Jésus lui déclara amen, je te le dis aujourd’hui avec moi tu seras [dans le] Paradis..

Le méchant larron à droite dit à Jésus:

Si tu es Christus salvum

Extrait du verset 39 – unus autem de his qui pendebant latronibus blasphemabat eum dicens si tu es Christus salvum fac temet ipsum et nos – l’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait si tu es Christ sauve-toi toi-même et nous aussi

L’inscription I.N.R.I. au sommet de la croix, initiales de Iesus Nazarenus Rex Iudæorum correspond au verset 38:

Erat autem et superscriptio scripta super eum litteris græcis, et latinis, et hebraicis: Hic est rex Judæorum – Il y avait aussi au-dessus de lui une inscription en lettres grecques, et romaines, et hebraiques: Celui-ci est le roi des Juifs

C’est le pape François lui-même, dans son audience générale du mercredi 28 septembre 2016 (Il Perdono sulla croce), qui prend le soin d’expliquer le message de l’abbé Lecoutre (François 2016):

[Come ha mostrato l’Abbé Lecoutre nella sua chiesa di Wirwignes] nell’ora della croce, la salvezza di Cristo raggiunge il suo culmine; e la sua promessa al buon ladrone rivela il compimento della sua missione: cioè salvare i peccatori.

[Comme l’a montré l’abbé Lecoutre dans son église de Wirwignes] à l’heure de la croix, le salut du Christ atteint son apogée et sa promesse au bon larron révèle l’accomplissement de sa mission: sauver les pécheurs.

Le message de l’abbé Lecoutre expliqué par le pape François (2016)

Les extraits suivants des paroles du pape François explicitent le message que l’abbé Lecoutre voulait transmettre à ses paroissiens.

Le premier [malfaiteur] l’insulte, comme tous les gens l’insultaient, comme le font les chefs du peuple, mais ce pauvre homme, poussé par le désespoir dit: « N’es-tu pas le Christ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi. » Ce cri témoigne de l’angoisse de l’homme face au mystère de la mort et de la conscience tragique que seul Dieu peut être la réponse libératrice […] Jésus nous a sauvés en restant sur la croix. Nous savons tous qu’il n’est pas facile de « rester sur la croix, » sur nos petites croix de chaque jour […]. En mourant sur la croix, innocent entre deux criminels, Il atteste que le salut de Dieu peut rejoindre chaque homme dans n’importe quelle condition, même la plus négative et douloureuse. Le salut de Dieu est pour tous, sans exception…
Il s’agissait du premier malfaiteur. L’autre est celui qu’on appelle le « bon larron ». Ses paroles sont un modèle merveilleux de repentir, une catéchèse concentrée pour apprendre à demander pardon à Jésus. Il s’adresse tout d’abord à son compagnon: « Tu n’as même pas crainte de Dieu, alors que tu subis la même peine! » Il souligne ainsi le point de départ du repentir: la crainte de Dieu. Mais pas la peur de Dieu, non: la crainte filiale de Dieu. Ce n’est pas la peur, mais le respect que l’on doit à Dieu, car Il est Dieu. […]. C’est ce respect confiant qui aide à faire place à Dieu et à se remettre à sa miséricorde. Ensuite, le bon larron déclare l’innocence de Jésus et confesse ouvertement sa propre faute: « Pour nous, c’est justice, nous payons nos actes; mais lui n’a rien fait de mal. » Jésus est donc là sur la croix, pour être avec les coupables: à travers cette proximité, Il leur offre le salut. […]
Le bon larron s’adresse enfin directement à Jésus, en invoquant son aide: Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton royaume. » Il l’appelle par son nom, « Jésus, » avec confiance, et ainsi il confesse ce que ce nom indique: « le Seigneur sauve. » C’est ce que signifie le nom « Jésus. » […]
Alors que le bon larron parle au futur: « Quand tu viendras avec ton royaume, » la réponse de Jésus ne se fait pas attendre ; il parle au présent: « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » A l’heure de la croix, le salut du Christ atteint son sommet; et sa promesse au bon larron révèle l’accomplissement de sa mission: c’est-à-dire, sauver les pécheurs […] Jésus est vraiment le visage de la miséricorde du Père. Et le bon larron l’a appelé par son nom: « Jésus. » C’est une brève invocation, et nous pouvons tous la prononcer de nombreuses fois au cours de la journée : « Jésus. » « Jésus, » tout simplement. Faites ainsi pendant toute la journée.

Pape François (2016) – Audience générale du mercredi 28 septembre 2016 (Il Perdono sulla croce)

Mais les paroissiens de Wirwignes n’ont pas eu à attendre les explications du pape François.

La marque de Charles Lévêque

Ce vitrail a la marque personnelle de Charles Lévêque qui avait pour habitude de faire figurer en arrière plan de ses vitraux des images des lieux. On peut par exemple le constater sur les détails du vitrail de la chapelle de la Vierge de l’église Saint-Alexandre de Bédarieux (Hérault) figurant « une présentation de l’enfant Jésus, » et du vitrail de l’église Saint-Martin de Prissac (Indres) figurant le roi Saint Louis. On voit en arrière-plan, dans le premier la ville de Bédarieux, et dans le second un château qui est sans nul doute celui de la Garde Giron. La marque de Charles Lévêque revêt ici une saveur toute particulière puisque c’est Wirwignes que le maître-verrier a figuré en dessous du Christ. On reconnaît notamment aisément l’église Saint-Quentin. Cette marque est présente sur plusieurs vitraux, avec par exemple les villes d’Amiens et de Saint-Quentin sur les vitraux illustrant la vie de saint Quentin ou l’église de Paray-le-Monial sur le vitrail de la chapelle du Sacré-Cœur.

Le maître-autel: Les vertus

L’abbé Lecoutre modifia le maître-autel daté de la seconde moitié du 17ème siècle, rajoutant des statues et des bas-reliefs sur deux de ses thèmes favoris: les apôtres et les vertus.

La base de l’autel, précédé d’un emmarchement de marbre noir veiné, décoré d’une mosaïque, est d’origine; elle est ornée de colonnettes torses en marbre noir auxquelles l’abbé Lecoutre a ajouté des statuettes en bois sculpté représentant des apôtres.

Elle est surmontée par un remarquable tabernacle en chêne de la même époque (voir Wimet 1979-80).

Sur la partie supérieure l’abbé Lecoutre a créé une série de bas-reliefs qui s’intègrent parfaitement à l’apparence classique de l’ensemble.

Le maître-autel
Le maître-autel

La partie droite du maître-autel

Les bas-reliefs représentent des anges tenant des banderoles où sont inscrites des vertus. Nous nous limiterons ici à la partie à droite du tabernacle.

Vertus
Vertus

Les cinq vertus du haut

SAGESSE INTELLIGENCE CONSEIL FORCE SCIENCE

correspondent au verset 2 du chapitre 12 du Livre d’Isaïe (Ancien Testament), la piété se trouvant sur la moitié à gauche du tabernacle, en haut à droite:

et requiescet super eum spiritus Domini spiritus sapientiae et intellectus spiritus consilii et fortitudinis spiritus scientiae et pietatis

et reposera sur lui l’esprit du Seigneur l’esprit de sagesse et l’esprit d’intelligence et l’esprit de conseil et de force, l’esprit de science et de piété

Curieusement, dans la majorité de versions françaises de la Bible, pietatis est devenu « crainte de Dieu » ou une expression équivalente. De nos jours les croyants parlent des sept dons du Saint-Esprit, incluant à la fois la piété et la crainte de Dieu, pour montrer que ce sont des vertus qui sont plus élevées que les autres, car pour eux ce sont des vertus divines. Il est souvent fait référence à saint Thomas d’Aquin (vers 1225-1274), qui a formalisé ces sept dons, par exemple:

Considerantes enim aliqui quod, inter septem dona, quatuor pertinent ad rationem, scilicet sapientia, scientia, intellectus et consilium; et tria ad vim appetitivam, scilicet fortitudo, pietas et timor

Thomas de Aquino 14ème siècle quaestio 68 articulus 1

Les cinq vertus du bas commencent par les trois vertus théologales ayant Dieu pour objet

FOI ESPERANCE CHARITE

énoncées dans le verset 13 du chapitre 13 de la première Épitre de Paul aux corinthiens:

nunc autem manet fides spes caritas tria haec maior autem his est caritas

à présent tandis que demeurent la foi l’espérance la charité des trois la plus grande est la charité

A ces trois vertus l’abbé Lecoutre a ajouté

CONFIANCE HUMILITE

Ces bas-reliefs paraissent incontestablement inspirés par le tympan roman de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques (Aveyron) construite aux 11ème et 12ème siècles (Séguret 2009).

Tympan roman de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques
Tympan roman de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques
Détail du tympan

De nos jours, on lit encore sur un détail de ce tympan

CARITAS (CHARITE) UMILITAS (HUMILITE)

Au 19ème siècle, Prosper Mérimée (1803-1870), écrivain et inspecteur des Monuments historiques, grâce à qui l’abbatiale de Conques fut classée par les Monuments historiques en 1838, avait écrit (Mérimée 1838 page 182):

…les intervalles du fond (entre les frontons et le haut de la zone ) sont remplis par des anges de proportion plus petite et dans différentes attitudes, la plupart tenant des banderoles qui portent le nom des vertus théologales: FIDESSPESCARITAS • CONSTANCIA • VMILITAS (sic).

Mais Prosper Mérimée s’était trompé pour l’une des deux banderoles, indéchiffrables de nos jours: comme le montre l’abbé Lecoutre, il s’agit à l’évidence de CONFIDENTIA (CONFIANCE).

Il ne semble pas faire de doute que l’abbé Lecoutre s’est inspiré du tympan de Conques.

Charité
Confiance

Enfin sur la face latérale, qui fait suite à HUMILITE, figurent

DOUCEUR PATIENCE CRAINTE D.D.

Vertus

On retrouve ainsi les trois vertus du verset 2 du chapitre 4 de l’Épitre de Paul aux éphésiens:

cum omni humilitate et mansuetudine cum patientia subportantes invicem in caritate

avec toute humilité et douceur, avec patience, vous supportant les uns les autres avec charité

auxquelles l’abbé Lecoutre a ajouté la crainte de Dieu [CRAINTE D.D.] (voir ci-dessus).

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