Les figurations populaires: Exemples

Par ses représentations conventionnelles l’abbé Lecoutre a pu rassurer ses paroissiens qui retrouvaient des images traditionnelles, relativement familières, pour une église. Mais en retour, cela ne devait guère éveiller leur curiosité. C’est certainement pour cette raison qu’il s’est ensuite orienté vers de nouvelles formes d’expressions, susceptibles de s’adresser à eux plus directement et de susciter leurs interrogations.

L’annonce de la fuite en Egypte

La partie supérieure de l’autel dédié à saint Joseph comporte un autre triptyque, dont on peut penser qu’il est postérieur. Celui-ci montre clairement l’évolution de l’Abbé Lecoutre. S’il semble inspiré de quelque gravure traditionnelle, avec notamment le drapé des vêtements, les visages ont une apparence plus populaire.
On observera les positions très expressives des bras et des mains. En particulier celle de Joseph endormi exprime son écoute de Dieu.

Le songe de Joseph
Le songe de Joseph
Le songe de Joseph

Les textes gravés en lettres d’or sont extraits du verset 13 du chapitre 2 de l’Évangile de Matthieu:

qui cum recessissent ecce angelus Domini apparuit in somnis Ioseph dicens
surge et accipe puerum et matrem eius et fuge in Aegyptum
et esto ibi usque dum dicam tibi futurum est enim ut Herodes quaerat puerum ad perdendum eum

Après qu’ils furent partis voici un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph disant
LEVEZ-VOUS PRENEZ L’ENFANT ET SA MÈRE ET FUYEZ EN EGYPTE [lève-toi et prends l’enfant et sa mère et fuis en Egypte]
et reste là jusqu’à ce que je te le dise car Hérode cherchera l’enfant pour le faire mourir

L’abbé Lecoutre montre saint Joseph endormi, une représentation peu courante à son époque. Son message est, comme pour le vitrail de la crucifixion, explicité par le pape François, dans son discours (en espagnol) du 16 janvier 2015 à Manille aux Philippines (François 2015):

Yo quisiera decirles también una cosa personal. Yo quiero mucho a san José, porque es un hombre fuerte y de silencio y en mi escritorio tengo una imagen de san José durmiendo y durmiendo cuida a la Iglesia.
Pero, al igual que san José, una vez que hemos oído la voz de Dios, debemos despertar, levantarnos y actuar.

Je voudrais aussi vous dire quelque chose de personnel. J’aime beaucoup saint Joseph, parce que c’est un homme fort et silencieux et sur mon bureau, j’ai une image de saint Joseph qui dort et qui en dormant prend soin de l’Église.
Mais, comme saint Joseph, une fois que nous avons entendu la voix de Dieu, nous devons nous réveiller, nous lever et agir.

A l’appui de son propos, le pape donne la référence de verset 11 du chapitre 13 de l’Épitre de Paul apôtre aux romains:

Et hoc scientes tempus quia hora est iam nos de somno surgere nunc enim propior est nostra salus quam cum credidimus.
Et cela connaissant le temps c’est l’heure de nous réveiller enfin du sommeil maintenant c’est un fait notre salut est plus près de nous que lorsque nous avons cru.

La représentation par l’abbé Lecoutre de Marie et Jésus endormis, encore plus rare, renforce ce message.

La statue de saint Joseph endormi est devenue un objet populaire

et même commercial:

« Cette belle statue artisanale française en pierre reconstituée, de 17 centimètres
représente saint Joseph endormi.
Les finitions sont faites à la main. »

Statue Nuit de Lumière - Le Songe de Saint Joseph
Statue Nuit de Lumière – Le Songe de Saint Joseph

On pourrait penser que l’auteur de cette statue a utilisé la même source que l’abbé Lecoutre.

L’abbé Lecoutre est réellement un précurseur

Avec en plus le talent

Saint-Joseph endormi

Existe en résine peinte à la main réalisée en Italie
par des artisans habiles, dans une version un peu différente

Jonas et le gros poisson

Par la suite, l’abbé Lecoutre, tout en continuant d’y puiser son inspiration, va prendre de plus en plus de distance avec les figurations traditionnelles, s’orientant vers un art qu’on peut regarder comme plus primitif, plus naïf.

Ainsi son bas-relief représentant le prophète Jonas et le gros poisson (« la baleine* »),
qui se trouve sur le côté de l’escalier de la chaire,
s’inscrit dans la continuité du triptyque précédent, mais s’éloigne de la plupart des représentations.

*Dans la version latine de la Bible, saint Jérôme dans le Livre de Jonas traduit littéralement l’hébreu en
piscis grandis, gros poisson (chapitre 2 verset 1)),
et dans l’Évangile de Matthieu on trouve le mot
cetus, monstre marin ou gros poisson de mer (chapitre 12 verset 40).
Pourtant celui-ci est le plus souvent assimilé à une baleine.

On remarquera la richesse des détails
avec l’embarcation à droite du poisson, des arbres pour représenter la terre ferme
et la ville de Ninive en haut.

adhuc quadraginta dies et Nineve subvertetur
encore quarante jours et Ninive sera détruite

Dans la Bible l’histoire est racontée par saint Jérôme dans les chapitres 1 et 2 du Livre de Jonas. Dans le début du livre le prophète, qui refuse d’obéir à l’ordre de Dieu l’enjoignant d’aller annoncer à Ninive sa destruction, fuit dans un bateau avec ses compagnons, déclenchant une terrible tempête. Ses compagnons lui demandent ce qu’ils doivent lui faire pour apaiser la mer.

et dixit ad eos tollite me et mittite in mare et cessabit mare a vobis scio enim ego quoniam propter me tempestas grandis haec super vos [1-12]
et tulerunt Ionam et miserunt in mare et stetit mare a fervore suo [1-19]
et praeparavit Dominus piscem grandem ut degluttiret Ionam et erat Iona in ventre piscis tribus diebus et tribus noctibus [2-1]
et oravit Iona ad Dominum Deum suum de utero piscis [2-2]
et dixit Dominus pisci et evomuit Ionam in aridam [2-11]

et il leur dit prenez-moi, et jetez-moi à la mer et la mer se calmera pour vous en effet puisque c’est à cause de moi cette grande tempête sur vous [1-12]
et ils prirent Jonas et le jetèrent à la mer et la mer s’arrêta de son effervescence [1-19]
et le Seigneur prépara un grand poisson de sorte qu’il engloutisse Jonas; et Jonas fut dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits [2-1]
et Jonas pria le Seigneur son Dieu des entrailles du poisson [2-2]
et le Seigneur parla au poisson et il vomit Jonas sur la terre ferme [2-11]

Les représentations les plus courantes évoquent le séjour de Jonas dans le poisson en le montrant dans la gueule de celui-ci, tête seule sortie ou buste entier visible, avec les bras en avant (Traineau-Durozoy 2018). La scène exprime généralement une certaine violence, avec des éléments déchaînés pour évoquer la colère de Dieu et le plus souvent un monstre plutôt difforme et menaçant, vomissant brutalement Jonas et inspirant la crainte chez celui-ci. L’une des exceptions est le tableau de Louis Brandin, peint dans la première moitié du 17ème siècle, qui montre, malgré un arrière-plan agité une scène relativement sereine (ce tableau se trouve de nos jours au musée des beaux-arts de Rouen). La représentation de l’Abbé Lecoutre s’en rapproche, avec un poisson apaisé après qu’il a rejeté Jonas, l’attitude de celui-ci étant assez semblable à celle du tableau, mais encore plus détendue et confiante. Cette représentation prend sa valeur populaire en excluant toute notion de nature à effrayer celui qui la contemple.

Jonas et le gros poisson
Abbé Lecoutre – Symétrisé
Jonas et le gros poisson
Louis Brandin
Saint Pierre et saint Paul
Saint Pierre et saint Paul

C’est une image similaire de paix que donnent les statues de saint Pierre et saint Paul qui se trouvent également sur la chaire.

Saint Pierre tient par la lame l’épée dont la poignée est tournée vers le sol, ce qui est une représentation très rare sinon unique.
Quant à saint Paul on peut opposer la statue de l’abbé Lecoutre à celle qui se trouve devant la basilique Saint-Pierre de Rome.

Ironie du sort, l’épée de la statue de l’archange saint Michel terrassant le dragon qui se trouve dans la partie haute de l’église a été brisée (mais est-ce un hasard?), comme pour participer à l’impression de paix.

Saint Michel
Saint Paul
Saint Paul – Basilique Saint-Pierre Rome

Les fonts baptimaux

les fonts baptismaux répondent à une tradition populaire. Ils sont à l’entrée de la nef dans un baptistère, une sorte de petite chapelle, dont le sol et les murs sont recouverts de mosaïques de marbre. La cuve à pans coupés des fonts baptismaux est encastrée dans un socle de marbre veiné (noir, blanc) sculpté surmonté d’un bloc de forme heptagonale.

Son couvercle en forme de bulbe peut rappeler le dôme des église byzantines. Mais on trouve ce type de couvercle dans des églises pour lesquelles il paraît difficile d’invoquer cette inspiration byzantine.

On peut aussi y voir un casque faisant référence aux paroles de l’apôtre Paul:

et galeam salutis adsumite et gladium Spiritus quod est verbum Dei
Et prenez le casque du salut et le glaive de l’esprit qui est la parole de Dieu

Lettre aux éphésiens chapitre 6 verset 17

Voir la sculpture de saint Paul sur la porte latérale.

Fonts baptismaux
Fonts baptismaux

Pour la réalisation du baptistère, l’abbé Lecoutre apparaît se conformer aux règles générales préconisées par le traité de Xavier Barbier De Montault sur la pratique de la construction, de l’ameublement et de la décoration des églises selon les règles canoniques. Ce traité, paru en 1878 donc sans doute postérieur, reprend en grande partie les prescriptions de saint Charles Borromée publiées en 1577 (Borromæi 1855). L’abbé Lecoutre a en tout cas respecté les principes (Barbier De Montault 1878 pages 105-106), compte tenu du fait qu’il eût été difficile de réaliser un rond ou un octogone pour la chapelle:

Le baptistère est le lieu où s’administre solennellement le sacrement de baptême. Après la chapelle du Saint-Sacrement, celle-là doit être plus ornée que les autres et s’en distinguer par une décoration spéciale, analogue au sujet.
Cette chapelle doit être soigneusement close de grilles ou d’un chancel en bois tourné: une simple balustrade ne suffirait pas. La porte se ferme à clef.
En plan, il dessine un carré, comme à Saint-Jean de Poitiers; un rond, comme à Pise et jadis à Saint-Jean-le-rond de Paris; mais plus ordinairement un octogone. Le carré est rare: il signifie les quatre points cardinaux vers lesquels, en souvenir des quatre fleuves du paradis terrestre, le prêtre, lors de la bénédiction des fonts, jette de l’eau baptismale.

Par contre, pour les fonts baptismaux il a écarté la forme octogonale recommandée:

La forme octogonale est donnée aux fonts baptismaux et aux baptistères, parce que le nombre huit symbolise le salut, la résurrection et la béatitude acquis par le baptême, ce qu’a exprimé saint Ambroise en deux distiques cités par Gruter dans son recueil d’inscriptions:
        Octogonum sanctos templum surrexit in usus,
        Octogonus fons est munere dignus eo.
        Hoc numero decuit sacri baptismatis aulam
        Surgere, quo populis vera salus rediit.

Les fonts baptismaux apparaissent comme une réalisation très rare.

En raison de la cuve heptagonale, les fonts baptismaux de L’abbé Lecoutre ne se rattachent pas aux figurations conventionnelles. Il a préféré le chiffre 7 qui évoque la complétude et la perfection et a toujours fasciné les hommes, donnant lieu à d’innombrables interprétations. En plus des 7 jours de création, ce chiffre est cité un très grand nombre de fois dans la Bible.

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Abbé Lecoutre